Editions FASQUELLE
61 rue des Saints Pères
75006 PARIS
Monsieur ZOLA Emile
Appartement n° 9
5 rue de Bruxelles
75009 PARIS
Paris,
Vendredi 27 septembre 1872
Monsieur,
Vous nous avez confié votre dernier-né « Le Ventre de Paris ». Je ne trouve qu’un seul qualificatif pour ce roman (et sans mauvais jeu de mots !) : « indigeste »…
Ce livre fait l’apologie de la victuaille, certes ! Cependant, au cours de notre lecture en cette belle et douce journée d’automne, les voix criardes des marchands résonnant sous les Halles et le bruit de fond de la ville de Paris mastiquant à longueur de journée, nous a empli les oreilles d’un vacarme assourdissant ! Nous avons alors décidé de fermer les fenêtres. L’odeur fade du cochon fraîchement égorgé, mêlée aux effluves des poissons posés sur les étals, était trop forte ; l’air de la salle est alors devenu irrespirable ! Et c’est les doigts dégoulinants de graisse que nous avons terminé de lire ce gargantuesque festin. Un des membres de notre comité de lecture a même grossi d’un kilo, uniquement en lisant votre manuscrit... Impensable ! A côté de cela, certains de vos personnages sont si maigres qu’ils en deviennent pathétiques !!! Ne pouvez-vous imaginer des individus moins radicaux ?
Par conséquent, vous comprendrez qu’il est inconcevable pour nous, notre maison et le plaisir de nos lecteurs, d’éditer ce « énième » épisode de votre interminable saga des Rougon-Macquart. Changez votre discours ! Les Français se lassent…
Nous vous prions d’agréer, Monsieur, l’expression de notre considération distinguée.
Eugène FASQUELLE
Editions FASQUELLE
61 rue des Saints Pères
75006 PARIS
Appartement n° 9
5 rue de Bruxelles
75009 PARIS
Paris,
Jeudi 24 novembre 1882
Cher Ami,
J’ai (enfin !) achevé la lecture de ton « Bonheur des Dames »… Pour ma part, je l’intitulerai « Comment faire le Malheur de ces Messieurs » !!! Cela fait dix ans maintenant que nous nous connaissons, et franchement, ton style ne s’est pas bonifié avec l’âge, crois-moi ! A moins que tes plumes n’aient été envoutées par le diable pendant que tu écrivais cette plaidoirie sur la femme ?
Lors de notre dernière soirée (très coquine, non ?) chez « Prunelle », tu m’avais pourtant prévenu que tu écrivais sur un thème très différent. Alors je m’attendais à tout, mais pas à cela ! Tout un pavé sur les chiffons de ces dames avec, en prime, une histoire d’amour qui finit bien… Mais où as-tu été trouver pareilles idées ??? Prunelle t’aurait-elle inspirée ? Je suis ton ami et là, c’est lui qui parle : tu es devenu complètement fou… Tu discrédites ton image d’écrivain ! Penses-tu réellement que les Français vont apprécier ?! Cherches-tu à te faire Hara-Kiri ! Ceci étant, je n’ai pas peur ; je sais que seules les plumes envahissent ton domicile alors, sauf éternuer, tu ne te feras pas bien mal !
Trêve de plaisanterie… Accepter d’éditer ce livre reviendrait à vouloir mettre en péril ma maison d’édition, ce que je ne peux me permettre.
Je te prie de croire, Cher Ami, en l’expression de mon amitié la plus sincère.